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Image d'un article à propos des dons manuels

Les dons manuels : une forme de donation parfois méconnue

Article rédigé par Marc Delassus, avocat associé du cabinet D&V avocats pour le magazine Droit & Patrimoine, édition n°344 (mars 2024)

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la composition des patrimoines s’est considérablement transformée. L’importance de la richesse mobilière justifie l’adaptation des concepts classiques du droit civil et explique l’intérêt et l’importance actuelle du don manuel ou de la donation indirecte.

Régime juridique du don manuel

A / DÉFINITIONS DES DONS MANUELS ET DONATIONS INDIRECTES

Par dérogation expresse aux règles de forme des donations, les dons manuels ou les donations indirectes peuvent porter sur tous les biens dont la remise matérielle emporte le transfert de propriété sans qu’il soit nécessaire d’accomplir aucune formalité particulière.

Ainsi, le don manuel ou la donation indirecte ne nécessite nullement l’intervention d’un notaire. Ils peuvent porter sur tous les biens meubles corporels ou incorporels (argent, voitures, œuvres d’art et objets de collection, bijoux, actions de société, etc.).

Ces types de donation ne doivent pas être confondus avec la donation déguisée, laquelle réalise, sous l’apparence d’un contrat à titre onéreux, une opération qui consiste à faire renoncer l’un des cocontractants à exiger une contrepartie. L’exemple le plus courant est celui de la vente consentie moyennant un prix qui n’est pas payé ou nettement inférieur à la valeur du bien vendu.

Dans le cadre du don manuel, la volonté de donner du donateur et l’acceptation du donataire résultent de la simple tradition, c’est-à-dire la remise matérielle du bien donné.

Cette remise matérielle permet également de prouver l’intention libérale du donateur et son dépouillement. Ce contrat réel doit également respecter les règles relatives à la capacité des parties. En l’absence de remise matérielle et mal- gré le consentement du donateur et du donataire, le don manuel n’est pas formé. Quant à elle, la donation indirecte, est une donation réalisée indirectement au moyen d’un acte qui par lui-même ne révèle pas sa nature onéreuse ou gratuite. Ainsi lorsqu’une personne

physique décide de transférer gratuitement des actions au profit de ses enfants, elle peut signer un ordre de mouve- ment sur lequel elle appose la mention

« bon pour transfert de la propriété de X actions ».

Le fait que cette personne signataire du document soit animée d’une intention libérale n’est pas révélé. Il n’est pas indiqué si le transfert est dû à une donation ou à une cession.

En outre, la personne qui retranscrit cet ordre de mouvement sur les registres n’a pas à se préoccuper de savoir s’il s’agit d’une cession ou d’une donation et si un prix a été payé ou non.

Toutefois, pour que cet ordre de mouvement opérant transfert de propriété constitue une donation irrévocable, l’intention libérale du donateur et l’acceptation expresse ou tacite du donataire doit être matérialisée sous une forme ou sous une autre.

L’affaire « ELM Leblanc » illustre parfaitement cette nécessité. Dans cette affaire, Monsieur et Madame Leblanc, mariés sous le régime de la communauté universelle, ont consenti à leur petit- fils un « don manuel » portant sur un nombre d’actions représentant plus de

20 % du capital de la société. Ce transfert de propriété est effectué par la signature d’un ordre de mouvement. En contre- partie de cet ordre de mouvement, censé matérialiser ce don manuel, le petit-fils a remis à ses grands-parents des ordres de rétrocession datés mais non signés. Cela permettait aux grands-parents de révoquer la donation qu’ils venaient de consentir.

Les relations entre les grands-parents et le petit-fils se sont dégradées, le grand- père a utilisé ces ordres de rétrocession permettant de réinscrire les titres sur les comptes des époux Leblanc.

La cour d’appel a donné raison aux époux Leblanc et débouté le petit-fils de ses pré- tentions. La prétendue donation a été déclarée nulle au motif que la dépossession n’était ni irrévocable ni immédiate. S’il n’est pas indispensable que la remise du bien soit concomitante à l’accord des volontés, il faut toutefois qu’elle inter- vienne du vivant du donateur. L’intention libérale du donateur, comme l’acceptation du bénéficiaire peuvent être constatées d’une manière expresse aux termes d’un simple document sous-seing-privé sur lequel nous reviendrons.

Dès lors que l’intention libérale du donateur et l’acceptation du bénéficiaire (même tacite) du vivant du donateur peuvent être matérialisées, la donation est irrévocable.

Ce principe comporte toutefois quelques exceptions prévues à l’article 953 du code civil :

  • en cas d’inexécution des conditions de la donation ;
  • en cas d’ingratitude ;
  • et en dernier lieu pour cause de survenance d’enfants.

Par ailleurs, aux termes de l’article 1096 du code civil, la donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage est toujours révocable.

B / L’APPLICATION DES RÈGLES DE LA RÉDUCTION DES LIBÉRALITÉS EXCESSIVES ET DU RAPPORT À LA MASSE À PARTAGER

Le patrimoine successoral se divise en deux catégories de biens. D’un côté, la réserve héréditaire qui doit

obligatoirement être dévolue à certains héritiers notamment les enfants du défunt. De l’autre côté, la quotité disponible qui correspond au surplus et dont le défunt peut disposer librement.

Les libéralités consenties au profit des héritiers venant à la succession sont présumées être faites en avance de part successorale. Elles s’imputent nécessairement sur la réserve.

Toutefois, les parties à l’acte peuvent souhaiter que la donation soit consentie hors part successorale. Elle s’imputera sur la quotité disponible. Il est alors nécessaire de le préciser dans l’acte de donation.

À l’inverse, les libéralités faites au pro- fit de personnes qui n’ont pas la qualité d’héritier réservataire s’imputent nécessairement sur la quotité disponible.

Ainsi, un enfant (héritier réservataire) ne peut jamais recevoir plus que le montant cumulé de sa part de réserve et de la quotité disponible. En cas de dépassement, les cohéritiers peuvent demander la réduction de la libéralité. Cela leur per- mettra de recevoir leur part de réserve. Aux termes de l’article 922 du code civil, pour savoir si une libéralité est réductible, il convient de former « une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession. ». Les biens ainsi donnés peuvent être rap- portés à cette masse de calcul pour une valeur bien supérieur à la valeur qu’ils avaient au jour de la donation, ce qui peut créer une inégalité significative entre les enfants.

Toutefois, l’article 1078 du code civil relatif à la donation-partage précise que

« Nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent. »

La donation-partage permet ainsi de geler les valeurs des biens donnés au jour

de la donation et de ne pas tenir compte des plus-values futures. Si, aux termes de la donation-partage, les donataires reçoivent un lot d’une valeur identique, la libéralité ne sera pas réduite. Cela per- met à chacun des cohéritiers de conserver le bien reçu sans jamais risquer de devoir indemniser ses cohéritiers.

L’article 931 du code civil interdit les donations par acte sous-seing-privé mais non les dons manuels ou encore les donations déguisées ou indirectes. Il s’ensuit que la donation-partage qui ne peut être faite sous-seing-privé peut l’être sous l’une ou l’autre de ces trois formes non solennelles.

Nous tenons à préciser ici que notre intention n’est pas de démontrer l’inutilité de l’acte authentique, bien au contraire.

Qu’il n’y ait aucune méprise : de trop nombreuses donations de somme d’argent font l’objet d’une simple déclaration fiscale Cerfa 2735-SD sans tenir compte des règles civiles applicables à l’opération. En effet, l’imprimé fiscal ne règle que l’application des abattements à utiliser, soit 31865 € pour les donations de somme d’argent et 100000 € sans distinction de la nature des biens donnés. Le formalisme d’un acte authentique solennel peut être considéré pour une personne physique comme trop lourd pour une simple donation de somme d’argent. En effet, il est nécessaire que toutes les parties soient présentes lors de la signature de l’acte authentique. Elles peuvent se faire représenter mais uniquement au moyen d’une procuration qui elle-même devra être reçue en la forme authentique.

La reconnaissance de don manuel sous- seing-privé, dont le formalisme est nécessairement moins contraignant, permet de résoudre avant l’heure de nombreuses difficultés d’ordre civil pouvant survenir lors de la succession du donateur.

Une reconnaissance de dons manuels peut par ailleurs constituer une preuve du caractère propre d’un bien acquis avec la somme d’argent donnée à un enfant marié sous un régime communautaire ou à un partenaire d’un PACS régit selon les règles de l’indivision.

Exemple pratique :

Monsieur X est marié sous le régime de

la séparation de biens, il a trois enfants. En janvier 2005, il a transféré la quasi-totalité des actions de sa société, exploitant une petite entreprise informatique, au profit de son fils aîné (M. A) qui a vocation à lui succéder. Ces actions représentaient alors une valeur de 100 000 €.

Afin de respecter l’égalité entre ces trois enfants, Monsieur X a fait donation à ses deux autres fils (M. B et C) d’une somme de 100 000 €, en régularisant l’imprimé Cerfa de déclaration fiscale de dons manuels.

Le seul formalisme réalisé a été la signa- ture par Monsieur X de l’ordre de mouvement de titres et la signature par les 3 donataires de l’imprimé Cerfa de dons manuels. Monsieur X a simplement précisé à ses enfants que ces donations constituaient une avance sur leurs droits dans la succession.

Avec les sommes d’argent données, Monsieur B a acquis un appartement pour la même valeur, Monsieur C a investi cette somme dans un portefeuille de valeurs mobilières.

Monsieur X décède en septembre 2022, son patrimoine se compose essentiellement de sa résidence principale estimée 500 000 €, de divers comptes de placement de trésorerie pour 100 000 €. Grâce aux qualités et au travail de Monsieur A et par suite de diverses opé- rations de croissance, les actions de la société qu’il a reçues par donation sont estimées au jour du décès à environ 5 000 000 €.

L’appartement acquis par Monsieur B a été revendu pour lui permettre d’acquérir une maison qui peut être estimée à 500 000 €.

Quant au portefeuille de Monsieur C, celui-ci est estimé à 600 000 €.

Les donations de somme d’argent et le transfert d’actions étant présumés faits en avance de part successorale, elles s’imputent sur la réserve de chaque enfant pour la valeur au jour du décès en application de l’article 922 du code civil. La masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible s’élève à 6 700 000 €

(5 000 000 + 500 000 + 600 000 + les biens

existants soit la somme de 600 000).

Les droits théoriques de chacun des enfants s’élèvent donc à 2 133 000 €

(6 700 000/3).

Selon l’article 913 du code civil, en présence de trois enfants, la quotité disponible est d’un quart soit 1 675 000 € (6700000/4) et corrélativement, la réserve globale est de trois quarts soit 5025000 €. La réserve individuelle est donc de 1 675 000 € (5 025 000/3).

La libéralité consentie à M. A excède sa part de réserve et la quotité disponible de ses frères. Elle est donc sujette à réduction. Cela revient à faire payer à Monsieur A le fruit de son travail.

Il est donc indispensable que les conditions de la donation soient consignées dans un acte de reconnaissance, signé par le donateur et les donataires postérieurement à la réalisation du don manuel ou de la donation indirecte (ordre de mouvements d’actions).

En ce qui concerne les règles du rap- port à la masse à partager, l’article 860 du code civil prévoit que « Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation. (…) Le tout sauf stipulation contraire dans l’acte de donation. ». Ainsi, si la donation est rapportable (les donations-partages et les donations consenties hors part ne sont jamais rap- portables), le montant à indiquer à l’actif de la masse à partager est celui de la valeur du bien au jour du partage. Cette règle, comme celles relatives à la réduction des libéralités, est également susceptible de créer une inégalité entre les héritiers.

Compte tenu de cette disposition légale, il est essentiel, lorsqu’une personne consent une donation de somme d’argent par exemple à l’un de ses enfants, que cette somme reste en la possession de ce dernier sans aucune ambiguïté.

Ainsi, lorsqu’un enfant reçoit 50 000 € en 2022 pour constituer le capital d’une société dans le cadre d’une création d’entreprise, lors du partage des biens composant la succession du donateur, si la valeur de l’entreprise représente 500 000 €, le rapport de la donation à la masse à partager sera de 500 000 €.

Pour éviter que cet enfant paie à nouveau le fruit de son travail, il peut être stipulé, conformément à l’article 860 du code civil, dans la reconnaissance de don manuel que le rapport sera du de la valeur du bien au jour de la donation.

Cet acte de reconnaissance ne fait que constater une donation réalisée antérieurement par virement, chèque ou ordre de mouvement pour des actions de sociétés (les parties reconnaissent dès avant ce jour…). Cet acte peut être établi sous- seing-privé car il ne « porte » pas en lui- même donation au sens de l’article 931 du code civil, il ne fait que constater la donation.

Cet acte pourra préciser les conditions dans lesquelles celle-ci a été consentie, notamment :

  • que le donateur s’est réservé l’usufruit des biens donnés, et donc de préciser l’étendue et les modalités de jouissance de son droit ;
  • les règles d’imputation et de rapports dans la succession du ou des donateurs (les deux parents éventuellement notamment dans le cadre d’un régime de communauté) ;
  • une clause de droit de retour conventionnelle en cas de décès du bénéficiaire en l’absence de descendants ;
  • une clause d’interdiction d’aliéner, de mise en garantie ou d’apport à communauté.

Comme l’a très justement rappelé le pro- fesseur Michel Grimaldi dans un article publié à la RTD Civ, en septembre 2007

« le visa conjoint de l’article 931, qui règle la forme des donations entre vifs, et de l’article 1075 du Code civil, qui prescrit que la donation-partage est soumise aux forma- lités, conditions et règles, prescrite pour les donations entre vifs, indique clairement que la donation-partage obéit quant à sa forme aux règles régissant les donations ordinaires. »

Ce don manuel peut également être réalisé sous forme de donation-partage conformément aux articles 1075 et suivants du code civil.

Ainsi, si l’on suppose qu’en 2005 Monsieur X avait régularisé une reconnaissance de dons manuels à titre de partage anticipé, l’article 1078 du code civil aurait été appliqué dans ses dispositions. Cela aurait permis d’évaluer les biens donnés pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible au jour de la donation et non pas au jour de la succession.

Il est cependant nécessaire de respecter les conditions de l’article 1078 du code civil à savoir (i) que tous les héritiers

réservataires vivants ou représentés aient reçu un lot dans le partage anticipé (ii) et l’aient expressément accepté (iii) et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit sur une somme d’argent.

L’ensemble de ses dispositions peut être stipulé dans l’acte de reconnaissance de don manuel établi postérieurement aux donations susvisées.

Régime Fiscal

Le don manuel n’entraîne par lui-même aucune taxation au titre des droits de mutation à titre gratuit. En effet, les droits de mutation à titre gratuit sont des droits d’actes, ils ne sont donc, en principe, pas dus en l’absence d’acte enregistré. Il est important de rappeler ici l’obligation pour le notaire d’enregistrer tous les actes qu’il authentifie dans le mois de leur signature. Le don manuel n’est soumis à imposition que si les services fiscaux ont connaissance de son existence.

Conformément au x termes des articles 757 et 784 du CGI, les droits de mutation à titre gratuit sont seulement exigibles :

  • sur présentation volontaire à l’administration pour enregistrement de tous actes contenant reconnaissance de don manuel par son bénéficiaire. Cette reconnaissance volontaire présente plusieurs avantages notamment le fait de faire

courir le rappel fiscal des donations antérieures de moins de 15 ans ;

  • lorsqu’une décision judiciaire constate l’existence d’une telle donation ;
  • lorsqu’il est révélé par le donataire à l’Administration fiscale à la suite d’une demande de renseignements de cette dernière.

Conformément à l’article 635 A du CGI, le paiement des droits correspondant doit intervenir dans un délai d’un mois à compter de la révélation.

Dans le cadre d’une transmission de titres sociaux, la reconnaissance de don manuel peut également être l’occasion de préciser que le transfert de propriété à titre gratuit bénéficiera du régime « Dutreil ».

Ce régime prévoit, sous certaines conditions, une exonération de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de la valeur des biens donnés. La reconnaissance de don manuel permet de justifier auprès de l’administration fiscale la réunion de toutes les conditions nécessaires au bénéfice de cette exonération (activité exercée par la société éligible au régime, engagements de conservation, exercice des fonctions de directions, obligations déclaratives). L’acte contiendra également le détail du calcul des droits de mutation à titre gratuit notamment dans le cas d’une société interposée entre le donateur et la société éligible au régime Dutreil.

Pour le cas ou le donateur est âgé de moins de 70 ans et que le transfert de propriété porte sur des titres en pleine propriété, le régime Dutreil prévoit également une réduction des droits de donation de 50 %. La reconnaissance de don manuel permet de justifier auprès de l’administration fiscale l’application de cette règle.

Conclusion

Notre propos a essentiellement pour but d’attirer votre attention sur le fait que la déclaration fiscale de don manuel sur imprimé Cerfa ne résout pas les conséquences civiles d’une telle opération.

Sur le plan juridique, il est indispensable que l’intention du donateur et du dona- taire soit clairement matérialisée afin d’éviter des difficultés d’interprétation après le décès du donateur.

L’intérêt du don manuel à titre de partage dans les conditions des articles 1075 et suivants du code civil a été clairement démontré. Il est donc indispensable de consigner les conditions de la donation dans un acte de reconnaissance de don manuel à titre de partage.

L’enregistrement de cet acte, même s’il anticipe le paiement des droits de mutation à titre gratuit, confère une date certaine à l’opération de la même manière qu’un acte authentique.